Voir les poissons sous l’eau sans se mouiller, c’est possible !
C’est pour découvrir l’une des passes à poissons les plus grandes d’Europe que je me suis rendue à Gambsheim, en Alsace. Bordant le Rhin, la ville est située à 18 km au nord de Strasbourg, et elle est notamment connue pour son barrage hydroélectrique.
Sur ce secteur, les acteurs du territoire se sont entendus pour développer un projet commun : participer au rétablissement de la libre circulation piscicole sur le Rhin, afin que des grands migrateurs comme le saumon puissent de nouveau atteindre l’amont du bassin rhénan pour y frayer.
Une passe à poissons à Gambsheim
Le Rhin est fragmenté par 21 barrages, dont 10 le long de la frontière franco-allemande. Sur ce secteur, 3 sont équipés de passes à poissons.
Les poissons migrateurs comme le saumon, l’alose ou la lamproie sont souvent les espèces phares de ce type d’infrastructures sur les grands fleuves.
Situé à 600 km de la mer du Nord, Iffezheim est le premier barrage infranchissable que rencontrent les poissons migrateurs, il est équipé d’une passe depuis 2000. Plus en amont, une passe a également été installée en 2006 sur le barrage de Gambsheim; et celle de Kembs a été récemment réhabilitée.
Principe de fonctionnement de la passe à poissons
Cet ouvrage permet aux poissons de franchir le barrage pour accéder à l’amont et ainsi remonter le cours d’eau. Il s’agit de diviser la hauteur de chute de l’obstacle, la plupart du temps à l’aide de bassins à faible pente comme à Gambsheim.
Ici, il est question d’attirer les individus bloqués au pied du barrage pour les inciter à franchir les 10 m de dénivelé répartis en 39 bassins sur une distance de 200 m.
Le schéma ci-contre illustre précisément le fonctionnement de la passe, munie de 3 sorties d’eau, donc 3 entrées pour les poissons.
Bienvenue sous la passe à poissons
Un espace visiteurs de 70 m2 situé au niveau de la passe permet de découvrir l’histoire du Rhin et les actions de restauration en faveur des populations piscicoles.
Le site est géré par les associations Passage 309 et Saumon-Rhin.
Les périodes propices à l’observation d’espèces migratrices sont l’hiver (migration des salmonidés et lamproies) et le printemps (migration des aloses et des espèces d’eau douce pour la reproduction). En savoir plus sur les grands migrateurs et les enjeux liées à leur migration.
L’espace visiteurs à Gambsheim permet d’observer les poissons remontant le dispositif de franchissement grâce à 3 énormes vitres.
Grâce aux ouvrages sur les barrages d’Iffezheim et Gambsheim, le franchissement piscicole est possible jusqu’à Strasbourg et sur le bassin de l’Ill. Les passes permettent aux migrateurs d’accéder aux zones de reproduction dans les Vosges, via les affluents de l’Ill, et en Forêt Noire, grâce aux affluents de la Kinzig.
Comptage des passages
Comme une dizaine de passes à poissons en France, celles de Gambsheim et Iffezheim bénéficient d’un dispositif de vidéosurveillance qui permet de détecter les allées et venues des poissons et ainsi de comptabiliser la fréquentation par espèce. Un système de retro-éclairage permet d’identifier chaque espèce grâce à sa silhouette (photos ci-dessous).
Quelques chiffres du passage moyen/an des grands migrateurs à Gambsheim (données Saumon-Rhin) :
50 à 80 saumons, 60 truites de mer, 10 à 100 lamproies marines, 20 000 anguilles, 10 grandes aloses.
Il faut noter que depuis 2009, le barrage d’Iffezheim est en travaux, ce qui entraîne des perturbations au niveau de l’efficacité de franchissement. Par exemple, en 2013, la passe a été mise à sec pendant 3 mois à partir du mois d’avril, durant la période de migration de l’alose et de l’anguille. Les résultats de comptage ne sont donc pas forcément représentatifs depuis le début de la période de travaux.
Et la dévalaison ?
On remarque que cette passe est adaptée à la montaison (migration d’aval vers l’amont) mais pas à la dévalaison (migration d’amont vers l’aval), comme malheureusement la majorité des dispositifs de franchissement en France et ailleurs. Certes la quasi-totalité des populations de grande alose, lamproie marine et saumon meurt après la fraie, et ne redescend donc pas en mer, mais les jeunes individus ainsi que l’anguille (celle-ci grossit en rivière et fraie en mer) entreprennent au cours de leur cycle de vie une migration de dévalaison afin de rejoindre l’océan.
Des études ont montré une mortalité dans les turbines des centrales hydroélectriques situées sur le « Rhin supérieur », lors de la dévalaison, définie comme minime pour les jeunes saumons (environ 5%) car les hauteurs de chute sont peu élevées. Mais si on multiplie ce chiffre au nombre de barrages à franchir depuis l’amont du bassin, on pourrait alors atteindre une part importante de mortalité…
La mortalité des anguilles a été évaluée de 15 à 20 % lors du passage par les turbines d’une centrale du Rhin.
Des dispositifs d’évitement existent comme les by-pass (évitement d’entrainement dans les turbines par déflecteur et exutoires de dévalaison) ou des barrières répulsives. Mais ces dispositifs ne sont pas adaptés à tous les sites (facteurs débit, embâcles, récurrence des crues, espèces cibles) et leur efficacité est encore floue. Des turbines spécialement conçues pour minimiser la mortalité lors du passage des poissons existent notamment aux USA.
La meilleure solution serait sans doute l’arrêt ponctuel des turbines lors des pics de migration, surtout pour l’anguille dont la période de dévalaison correspond aux crues automnales, mais les débits à turbiner sont importants à cette époque de l’année…
Notons que la petite centrale de Brisach est équipée d’un dispositif unique pour la montaison et la dévalaison des poissons.
Actions en parallèle
Les lourds aménagements du Rhin depuis le XIXe siècle ont durablement bouleversés les écosystèmes de ce fleuve considéré autrefois comme l’un des plus importants fleuves à saumons d’Europe. En cause, la rectification et la chenalisation du lit, la création de barrages, l’extraction de granulats, la pollution du fleuve,…
Opérations d’alevinage
L’association Saumon-Rhin ainsi que les Fédérations de pêche locales mènent des campagnes d’alevinage de saumon et grande alose dans les secteurs susceptibles d’accueillir ces populations.
Actuellement, des alevinages sont réalisés notamment sur l’Ill avec 500 000 alevins de saumons par an. Egalement, un programme « LIFE grande alose » a permis d’implanter entre 2008 et 2010 sur le Rhin plusieurs millions de larves de grande alose provenant de la Garonne (projet mené par des équipes de l’IRSTEA et MIGADO).
D’autres passes ?
Le barrage de Strasbourg devrait être franchissable en 2016, ouvrant un peu plus la route migratoire vers l’amont du bassin.
Le remplacement de la passe à poissons du barrage de Kembs par un dispositif plus performant permettra une meilleure franchissabilité dans ce secteur encore cloisonné.
La problématique de la dévalaison serait à développer.
La restauration des milieux
Les retour des migrateurs sur le bassin rhénan grâce à l’ouverture des routes migratoires ne peut être pérenne que si le fleuve présente des milieux capables d’accueillir et maintenir les populations.
Mes remerciements à l’association Saumon-Rhin pour les informations apportées ainsi qu’à l’équipe de Passage 309 pour la qualité de son accueil.
Données CIPR, Passage 309, Saumon-Rhin